Mode de consommation des millennials : une impérative ré-invention de la distribution
La génération des Millennials soulève de multiples enjeux, l’un d’entre eux et non le moindre étant celui auquel doit faire face la distribution. Face au grand péril Amazon – plébiscitée par cette cible -, les points de vente physiques sont-ils condamnés à disparaître, ou du moins à voir leur rôle s’étioler ? Ce n’est pas si sûr ! Market Research News a interviewé Emmanuelle Barreyat, experte Retail et Shopper d’Enov. Grâce à une étude exclusive sur le nouveau mode de consommation des Millennials, Enov expose les composantes clés de la ré-invention que les marques se doivent de mettre impérativement en œuvre sur leurs canaux de distribution physique.
MRNews : La cible des Millennials fait l’objet d’une énorme couverture médiatique. Mais cela fait-il écho aux préoccupations des entreprises ? Vos clients vous sollicitent-ils réellement à ce sujet ?
Emmanuelle Barreyat : Oui, il y a un intérêt extrêmement fort de la part de nos interlocuteurs pour cette cible. Parce qu’elle constitue un enjeu majeur compte tenu de sa taille et de sa valeur. Mais aussi parce que les équipes marketing se sentent un peu « perdues » sur la meilleure façon d’adresser cette génération d’individus. Elles ne cessent d’entendre le même message de fond de la part des médias, celui que le mode de consommation des millennials a radicalement changé et que plus rien ne sera jamais comme avant. Il y a donc un besoin évident des entreprises de prendre la mesure des transformations à effectuer, en particulier sur les enjeux de retail.
Et soyons clair, il y a une énorme peur : celle d’Amazon ! Beaucoup d’acteurs sont terrifiés à l’idée que les Millennials se détournent d’eux pour être les clients privilégiés de ce géant, qui présente à priori tous les ingrédients clés pour les séduire.
La grande crainte partagée par les marques : le mode de consommation des millennials les fait se détourner massivement des points de vente physiques…. Qu’en est-il d’après vous ?
Il est évident que pour cette population hyperconnectée, une enseigne comme Amazon fait pour ainsi dire l’unanimité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a point de salut hors le e-commerce. C’est un des enseignements clés de l’étude que nous avons réalisée cette année auprès de cette cible, et qui montre que le shopping physique reste essentiel pour eux, notamment sur des univers comme l’habillement, l’ameublement ou la décoration par exemple. Mais il y néanmoins une vraie urgence pour les marques à transformer et même à ré-inventer leurs points de vente, la première des priorités pour elles étant d’adopter un nouveau prisme de lecture. Pour beaucoup de produits, internet est devenu le mode d’achat par défaut. Les marques doivent donc systématiquement se poser la question des différences et des bénéfices qu’elles sont susceptibles d’apporter à leurs clients via leurs canaux de vente physique comparativement à internet.
« Le premier constat clé est le rôle central du vendeur. Les Millennials attentent une réelle expertise des vendeurs, ceux-ci devraient avoir un rôle de coachs »
Quelles sont les composantes clés de cette ré-invention des points de vente physique ?
Les attentes des Millennials s’articulent autour de trois piliers majeurs que sont le vendeur, la disponibilité Produit et enfin l’expérience sensorielle. Le premier constat clé que nous avons fait est celui du rôle central du vendeur. Pour les Millennials, qui perçoivent le shopping comme un moment de déconnexion, celui-ci représente le lien social. Ils ont un regard politico-économique vis-à-vis de lui, qui doit continuer à bien rester présent, faute de quoi le chômage augmentera !
Mais ils ont aussi de vraies attentes : le vendeur se doit d’être disponible et accueillant naturellement, mais il doit également apporter un réel conseil – et le bon, celui qui va dans l’intérêt du client – à partir d’une solide connaissance de l’offre. Les Millennials attentent une réelle expertise des vendeurs. Idéalement, ceux-ci devraient avoir des rôles de coachs, alors que leur constat d’aujourd’hui est qu’ils en savent souvent plus qu’eux sur les produits. Il y a donc pour les marques un énorme enjeu autour de la formation des vendeurs.
Quelles sont leurs attentes sur l’offre dans les points de vente ?
Idéalement, ils souhaitent retrouver l’offre présente sur internet : les mêmes prix, et les mêmes stocks ! Ils sont également très demandeurs de produits ou de services customisés, mais tout en étant très frileux sur le principe de confier leurs données personnelles…
Est-ce qu’il n’y a pas là une forme d’irréalisme ?
Je ne dirais pas cela. Ils sont réfractaires à un discours trop général, ne reposant que sur des principes ou des promesses vagues. Mais s’ils ont la preuve que cela s’inscrit dans une relation gagnant-gagnant, ces freins quant à la divulgation de leurs données personnelles peuvent être levés. La même logique s’applique pour les programmes de fidélité : ils ne veulent pas rentrer dans ces mécaniques ou il faut attendre longtemps pour peut-être obtenir in fine des bénéfices qu’ils pressentent comme faibles. A contrario, ils valorisent la surprise, la spontanéité, le geste sympathique et inattendu de la part de la marque.
« Le point de vente idéal pour les Millennials intègre une subtile alchimie d’humain et de digital »
Dans cette ré-invention des points de vente, quelle place faut-il accorder au digital ?
En amont du point de vente, le digital est naturellement omniprésent dans le mode de consommation des millennials, que ce soit pour repérer les bons plans, s’inspirer des blogueurs ou se tenir informé par les marques elles-mêmes. Sur la place du digital dans les points de vente eux-mêmes, les Millennials sont à la fois ambivalents et pragmatiques. Ils nous le disent très clairement : quand ils font du shopping, c’est pour se déconnecter. Ils n’ont donc nulle envie de se retrouver le nez collé à des écrans. Mais si les outils digitaux en magasin leurs procurent un gain de temps, ils votent « pour ».
C’est le cas notamment des bornes de prix, des scanettes ou des tablettes lorsqu’elles sont utilisées avec le vendeur. Tout ce qui va dans le sens de la rapidité et de la fluidité est bienvenu : par exemple ces applications permettant de commander en ligne si le produit n’est pas disponible dans le magasin physique. Et si le digital peut contribuer à renforcer la qualité de leur expérience sensorielle en point de vente, là encore ils y sont favorables. Dans notre étude, nos Millennials valorisaient par exemple le principe de cabines connectées ou d’application permettant une reconnaissance morphologique pour indiquer les paires de lunettes, le maquillage ou les vêtements les plus adaptés.
En tout état de cause, il est clair que le point de vente idéal pour les Millennials intègre une subtile alchimie d’humain et de digital.
À quoi ressemblerait le centre commercial idéal pour les Millennials ?
Il y a un relatif consensus sur certains attributs : pour eux, le centre commercial de demain devra être éco-responsable, allier loisirs et shopping, et être animé, un peu comme un parc d’attractions (rires). Mais là encore — comme pour le digital — il y a des divergences, en particulier sur la taille du centre idéal. Pour certains, celui-ci doit être immense pour offrir un maximum de boutiques, de loisirs et de services, le projet Europa City étant emblématique de cette vision. D’autres sont au contraire à ce que ces centres restent à taille humaine.
Quelles enseignes vous semblent avoir particulièrement réussi à répondre aux attentes des Millennials ?
Les Apple stores sont une réussite évidente auprès des Millennials, avec la mécanique des rendez-vous planifiés et leur dimension inspirante. Mais d’autres enseignes méritent d’être évoquées. C’est le cas de Natures et Découvertes, qui est parvenu à proposer une expérience très distinctive et même unique, ou bien de Cultura avec ses ateliers et sa décoration assez épurée. On peut également citer Sephora, qui performe particulièrement bien dans l’esprit des Millennials sur des aspects de personnalisation et de reconnaissance du client. Je ne reviens pas sur Amazon qui est l’enseigne la plus plébiscitée, même s’il peut y avoir des réserves sur des composantes politiques, comme le fait qu’ils ne paient pas d’impôts en France.
Une dernière question enfin sur les techniques d’étude. Quelles méthodologies doivent selon vous être privilégiées pour travailler sur cette cible des Millennials ?
Le principe des communautés s’adapte réellement bien à cette génération, bien plus que les focus groups ou les interviews individuelles. Les Millennials sont très à l’aise avec les outils digitaux pour échanger, partager, et ils prennent le temps de jouer le jeu, ce qui est le moins le cas avec les plus jeunes, les Z, qui imposent eux la nécessité de procéder via des interactions très concises et brèves, ce qui peut parfois constituer un vrai défi !
Interview publiée avec l’autorisation de Market Research News
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