ENOV, cabinet d’études marketing et innovation

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Moments de vérité : l’importance des émotions

Comment identifier les moments de vérité dans un parcours d’achat ?

Investiguer les parcours clients et identifier les moments de vérité constitue à l’évidence un vrai challenge. Pour être relevé efficacement, nous disent Emmanuelle Exilie, Directrice BU Retail & Shopper, et Martial Rousset, Responsable Digital chez Enov, la meilleure option est d’adopter une approche au cas par cas, mixant les différentes techniques d’étude classiques ainsi que l’usage du digital. Mais il a toutes les chances d’être payant pour l’entreprise compte-tenu des éclairages apportés, la condition idéale étant de bien associer les équipes opérationnelles, de l’amont à l’aval du projet. Thierry Semblat du Magazine MR News a fait le point avec nos experts sur ces moments décisifs de l’expérience client.

MRNews : L’enjeu de la connaissance des Moments de Vérité est-il fortement présent dans les demandes des entreprises ?

Photo d'Emmanuelle Exilie et Martial RoussetEmmanuelle Exilie et Martial Rousset : Un nombre impressionnant de briefs porte sur une notion plus large, celle du « parcours client ». Parfois pour s’intéresser à la globalité de celui-ci, ou bien — plus fréquemment — à une composante de ce parcours. Même si cela s’est fait progressivement, les entreprises ont enfin pris conscience de l’importance des changements qui se sont opérés depuis une dizaine d’années, avec la diffusion du digital dans les comportements d’achat, et de l’empowerment du consommateur.

Le client est beaucoup plus connecté, mobile, social, collaboratif, influent, autonome, exigeant, volatile… En quête de plus de personnalisation, de simplicité, d’émotions aussi. Si le parcours n’est pas à la hauteur de ses attentes, il lui est très facile d’aller voir ailleurs ! Les marques ont donc fortement intégré l’impératif de proposer à leurs clients une expérience qui soit à la fois fluide, satisfaisante, mais aussi différenciante, pour mieux les fidéliser et/ou déclencher des ventes additionnelles auprès d’eux.

« Il n’y a pas UN mais plutôt DES parcours clients différents, en fonction des secteurs d’activité et de la nature des cibles »

Quelles sont vos convictions clés sur la bonne façon d’adresser cet enjeu ? Quelle démarche apporte les outputs les plus efficaces ?

Un angle de vue nous parait fondamental : celui de considérer qu’il n’y a pas UN mais plutôt DES parcours clients différents, en fonction des secteurs d’activité et de la nature des cibles en particulier. Les moments de vérité sont donc toujours spécifiques, et correspondent à un croisement entre une catégorie de produits ou de services et un segment de consommateurs. Cela peut sembler une évidence, mais ce prisme a des conséquences importantes sur les approches à utiliser. Celles-ci doivent impérativement être définies au cas par cas, en déployant un mix de méthodologies. L’outil miracle n’existe pas face à une problématique qui exige d’avoir une vision à 360 degrés ; il faut donc à chaque fois élaborer l’assemblage le plus pertinent. Dans l’idéal, trois grandes étapes doivent être mises en œuvre, la première consistant à retracer les parcours client, à les « cartographier ».

Il faut cartographier des cheminements parfois longs, et tous différents les uns des autres…

Absolument ! La double difficulté en effet est de devoir reconstruire un ensemble de parcours client — de l’amont à l’aval — extrêmement hétérogène puisque chaque consommateur a le sien, et très complexe du fait du nombre de points de contact pouvant entrer en jeu mais aussi de l’importance des aspects de chronologie. Sauf cas très particuliers, la méthodologie permettant d’établir une cartographie valable des parcours client ne peut pas se limiter à interroger des individus qui, même s’ils font preuve de bonne volonté, simplifient ou oublient des points essentiels.

Notre démarche consiste donc le plus souvent à croiser et analyser des informations issues de différentes sources : naturellement des études « classiques », qualitatives ou quantitatives (de type U&A ou shopper en particulier), mais aussi des données provenant du web (les traces des comportements dans les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les forums…) ou de la marque elle-même, via son CRM ou les analytics de son e-store.

Assez classiquement, nous sommes amenés à croiser le déclaratif des consommateurs avec leurs comportements digitaux issus des smartphones, tablettes ou ordinateurs captés via différents moyens comme l’écoute du web ou le tracking de leur device.

Il ne semble a priori pas toujours simple d’avoir une lecture claire des comportements digitaux des individus…

Tout à fait. C’est la raison pour laquelle nous avons intégré cette vision digitale, pilotée par Martial, pour imbriquer le plus efficacement cette source d’information aujourd’hui essentielle — et extrêmement riche — dans nos dispositifs. Là, en l’occurrence, nous pouvons reconstruire avec exactitude le parcours des consommateurs : quels sites ont été visités, et même plus précisément quelles pages, quels articles ont été mis dans le panier puis éventuellement abandonnés, etc.

À l’issue de cette démarche de cartographie, nous identifions classiquement 5 ou 6 types de clients avec leurs profils et des éléments caractéristiques de leurs parcours : quels points de contact ? Quels types d’information ont été consultés ? Comment s’intègre le magasin physique dans leur cheminement ? Etc.

« Les Moments de Vérité ne peuvent être saisis qu’à chaud, en appréhendant les émotions des consommateurs »

Qu’en est-il de nos moments de vérité ? Quand sont-ils identifiés ?

Cette recherche s’effectue dans un second temps, en tenant compte d’une contrainte importante : ces moments de vérité ne peuvent être saisis qu’à chaud, en appréhendant les émotions des consommateurs. Cela implique de les suivre dans leurs parcours, et de mettre en place les bons capteurs. Différentes modalités peuvent être utilisées pour ce faire. Nous pouvons avoir recours à la mesure passive via des capteurs biométriques par exemple.

Les communautés d’études dédiées constituent également un outil très intéressant, le principe étant de recruter les individus le plus en amont possible de leur cheminement, lorsqu’ils envisagent un achat ; et de leur demander de partager les différentes étapes qui le jalonnent, ainsi que la façon dont ils les vivent, avec des posts, des photos ou des vidéos. Nous utilisons une application mobile, AppInside, qui est très efficace. Mais via les réseaux sociaux, quand ils s’expriment spontanément et à chaud, les consommateurs livrent également des indications extrêmement riches sur ce que sont ces moments de vérité. Nous sommes donc capables, avec différents outils et dispositifs, de capter ces moments en continu.

L’analyse sémantique de ces corpus est un outil particulièrement performant. Notre expérience nous amène à penser qu’il est encore indispensable aujourd’hui d’associer l’intelligence humaine à celle des machines pour obtenir les meilleurs inputs. Mais la R&D est constante sur ces sujets.

Les parcours ont donc été cartographiés, et les moments de vérité identifiés. Quelle est la suite ?

Nous passons à la phase opérationnelle. Une fois que l’on dispose du film, et que l’on a repéré les moments de vérité clés, nous engageons une troisième étape dont la finalité est de définir les meilleures options pour redesigner l’expérience client. Ce que nous faisons avec les collaborateurs concernés dans l’entreprise, en mode workshop. Améliorer ces parcours nécessite de revoir des process, des organisations,… il faut donc aussi veiller à ce que les équipes soient bien impliquées dès l’amont du projet. D’une part, pour s’assurer qu’il soit réaliste et d’autre part, car ce sont elles qui le porteront par la suite.

Quelles sont les catégories de produits ou de services auxquelles cette démarche d’analyse est possible. Et celles qui posent plus de difficultés ?

Cette recherche s’applique à une très large variété de sujets dans l’univers du BtoC. Nos expériences sont particulièrement positives dans le retail et la grande consommation, ou bien dans des domaines comme ceux de la banque, de l’assurance, du transport… Nous avons géré un projet extrêmement intéressant sur le marché des cuisines équipées par exemple. L’univers des professionnels (en BtoB) est lui plus compliqué à investiguer. Il est moins facile d’accès car un « pro » va être moins bavard sur son cœur de métier. En les ciblant avec la bonne proposition de valeur, il est possible de co-construire avec eux (à lire : les études marketing BtoB).

Ces projets demandent des budgets conséquents. Cela ne constitue-t-il pas un frein important pour les annonceurs ?

Le budget est en effet significatif lorsque le projet est mis en œuvre dans la globalité, mais il doit être relativisé en fonction du Retour sur Investissement (ROI) qu’il génère, qui est souvent énorme.

Par ailleurs, les entreprises nous sollicitent le plus souvent sur des problématiques assez focalisées, et plus rarement sur la totalité des étapes. Ils s’intéressent spécifiquement à l’une d’elles, ou bien encore leur demande se concentre sur une nature bien précise de point de contact, en particulier les espaces physiques de vente ou bien le digital. C’est parfois dommage, parce qu’il serait préférable au contraire de dépasser ces silos pour mieux intégrer la vision des consommateurs. Toutes les entreprises s’accordent d’ailleurs à dire que l’expérience client est devenue centrale et prioritaire. La « ré-enchanter » nécessite d’en avoir une vision globale, claire et précise.

« Il peut y avoir un vrai risque à sous-estimer la durée du parcours client. Celui-ci commence tôt, plus qu’on ne l’imagine bien souvent, et il se passe beaucoup de choses avant qu’il ne soit en point de vente »

Quels sont selon-vous les pièges les plus importants à éviter dans la gestion de ce type de chantier ?

Celui que nous venons de signaler nous semble important, mais il en existe bien d’autres… Le principe de ne pas se limiter à un recueil à froid de l’expérience des consommateurs nous parait essentiel. La complexité des parcours client est vraiment un challenge ; il faut donc disposer des bons outils, tant pour le recueil que pour l’analyse. Cela nous a notamment conduits à utiliser des analyses statistiques sophistiquées, utilisées notamment dans le domaine de la biologie moléculaire.

Par ailleurs, il peut y avoir un vrai risque à sous-estimer la durée du parcours client. Celui-ci commence tôt, plus qu’on ne l’imagine bien souvent, et il se passe beaucoup de choses avant qu’il ne soit en point de vente. Il nous parait donc essentiel de bien intégrer la partie amont du parcours, avec les phases de recherche d’information, qui peuvent être hypersensibles dans certains domaines d’activité. La partie avale n’est pas à négliger non plus. En effet, l’accompagnement du consommateur est essentiel pour le transformer en ambassadeur et éviter d’en faire un détracteur.

Voyez-vous encore un dernier piège ou point d’alerte important ?

Pour que ces projets apportent les meilleures pistes pour action, il nous semble vivement conseillé d’associer les parties prenantes opérationnelles. Elles ont une vision précieuse sur les contraintes ou au contraire sur les marges de manœuvre pour optimiser le parcours client. Il serait donc vraiment dommage de travailler en ne les mettant pas ou trop peu dans la boucle.

Interview publiée avec l’autorisation de Market Research News – Retrouvez le dossier complet

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Emmanuelle Exilie

Directrice BU Retail & Shopper