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Photo de l'article Design fiction appliqué au processus d'innovation marketing
Le Design Fiction : une méthode innovante pour le marketing

Le Design Fiction au service du processus d’innovation marketing

En juin dernier, se tenait la 9e séance du Design Fiction Club, hébergé à la Gaïté Lyrique de Paris, à propos de la CrispR-Food : une technique d’édition du génome qui se développe dans l’agriculture (lire notre livre blanc sur la CrispR-Food). Cette séance, qui nous projetait en 2046, prenait la forme d’un débat spéculatif et participatif innovant. Elle constituait le point de départ d’une consultation citoyenne de plusieurs mois, portée aux autorités de l’Union Européenne, via un “avis éthique experts citoyens”. Imaginé, organisé et animé par Max Mollon1 et son équipe, ce débat nous révèle des méthodes originales d’animation de workshop. Elles impliquent le public et peuvent facilement être appliquées au processus d’innovation marketing.

L’occasion pour nous de découvrir comment le design fiction. Comment, en tant que levier de critique et de débat, peut-il jouer un rôle dans les questions politiques et éthiques soulevées par les nouvelles technologies ? Nous avons donc assisté à un débat “éthique et social”. L’individu n’y est plus seulement un consommateur mais également un citoyen qui peut se saisir de questions complexes, concernant son alimentation par exemple.

Photo de Max Mollon, fondateur de What if

Max Mollon, fondateur de What if

Alors, comment “designer pour débattre” ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le design fiction et ses méthodologies, provoquent une réflexion et des discussions, naissants d’un “conflit” entre les participants d’une discussion collective. Cette notion de “conflit” implique les répondants dans le sujet à traiter, tant émotionnellement que politiquement (opinion). Ce qu’il faut donc retenir c’est que le design fiction permet de se projeter dans le futur (dans notre cas en 2046) et de débattre collectivement. Tout comme un focus group ou un workshop, il offre à chacun l’opportunité de confronter et construire son opinion.

Ces méthodologies du “Design F(r)iction” auraient donc beaucoup à offrir au processus d’innovation marketing. En effet, elles permettent d’impliquer davantage les répondants dans un débat afin de réfléchir ensemble à un futur satisfaisant toutes les parties. Comme nous aimons à le rappeler, il est important pour nos marques clientes de se rapprocher des préoccupations et des représentations de leurs consommateurs, en les remettant au centre des réflexions. Il est alors aujourd’hui essentiel d’ouvrir la porte à une démarche de co-construction avec les consommateurs, afin d’engager une stratégie d’innovation viable sur le long terme.

Ergo, comment animer un débat ?

Comme nous venons de le dire, le design fiction offre la possibilité de créer un débat constructif en impliquant un public hétérogène. Lors de cette 9e séance du Design Fiction Club, les discussions avaient pris la forme d’une “Agora spéculative”2. Il s’agit d’une séance de débat participatif, projetée dans un scénario critique et prospectif, appelé Design Fiction.
Afin de donner les clés des éléments techniques du débat aux répondants, les designers organisateurs de l’événement avaient mis à disposition un lexique de définitions assez large. Il allait du “bio” à “l’eugénisme”, en passant par la description du rôle de diverses institutions juridiques.

Les designers avaient également mis en place un outil accélérateur de débat. Pensé sous dorme de feuilles de papier format A5, de divers coloris, ils permettent de donner son avis sans prendre la parole. Par exemple, avec la feuille “c’est bon, on a compris, changez de sujet svp !” ou “je suis complètement d’accord avec ce qui est dit”. Un outil performant et facile à mettre en place, dans un contexte de focus group ou de workshop. C’est la garantie de la participation des plus timides, et de l’implication de la totalité des répondants à chaque phase du débat.

Gamification de l’exercice

L’équipe avait également organisé un bingo : une grille à remplir en amont, en fonction des termes que le répondant pensait voir abordés lors du débat. Les deux premières personnes à avoir complété leur grille recevaient une récompense durant la soirée. Une façon, d’une part pour l’équipe organisatrice d’analyser les à priori propres au thème du débat, d’autre part pour le répondant de se projeter de façon ludique dans le débat.
Enfin, chaque participant était tenu de remplir un graphique à double axe (pour ou contre l’intervention de l’homme sur le génome des plantes, pour ou contre les intrants). Cela avait pour but de permettre à l’équipe organisatrice de mesurer l’impact du débat sur les positions de chacun.

Nous voyons donc que, par la mise en place d’outils simples, l’expérience du répondant est enrichie. Son niveau de connaissance d’un sujet est augmenté, l’analyse est plus fine (accès aux a priori sur un sujet) et l’impact de l’exercice peut être mesuré (déconstruction ou non des a priori). De nombreux bénéfices pour un processus d’innovation marketing…

Et finalement, comment cadrer un débat ?

Nous avons tous en tête ce fameux répondant qui prend beaucoup de place en focus group ou en workshop. Il s’évertue à convaincre tout un chacun du bien-fondé de sa réflexion (rarement constructive) et veut mener le débat à votre place. Alors la question légitime qui se pose est la suivante : est-ce que tout le monde peut débattre de tout ? À quel moment est-on qualifié pour s’exprimer sur un sujet particulier ?

Voici ici l’aspect, à notre sens, le plus intéressant de cette forme de débat : l’intervention des experts. En effet, le public (environ 40 personnes) comptait :

  • 4 acteurs de théâtre (anonymes) qui ponctuaient les discussions de points de vue plus ou moins extrêmes ou originaux
  • Des experts (anonymes) issus de divers milieux (commission européenne, chercheurs, etc.) qui relançaient le débat de manière éclairée
  • Un expert en sciences cognitives et des biais de raisonnement, Albert Moukheiber.

Non seulement ces experts cadraient le débat mais permettaient de contourner l’effet Dunning-Kruger3 d’illusion des connaissances, souvent présent dans ce genre d’exercice. Il faut d’ailleurs le souligner : à l’ère de l’accès à l’information sur des sujets très complexes, on peut très vite avoir l’impression d’avoir compris…

Le Design Fiction appliqué aux processus d’innovation marketing

Considérons que les répondants reçoivent tous une considération égale de leur avis et sans disqualifier certains individus. Il semble ainsi essentiel de réfléchir à la mise en œuvre de conditions spécifiques pour qu’ils aient tous le même niveau de connaissance sur un sujet particulier en focus group, workshop ou entretien individuel. Il s’agit alors de faire circuler les connaissances entre les marques, les instituts et les répondants. Cela permet d’éviter les points de vue et arguments plats. Cette méthode de cadrage du débat permet d’obtenir des résultats plus éclairés, motivés par une réflexion sur des sujets rendus profonds. Elle renforce également la relation de confiance entre une marque et son client, en mettant tout le monde sur un pied d’égalité.

La contribution méthodologique que nous avons observé mériterait de s’ouvrir à d’autres champs d’application, notamment aux processus d’innovation marketing. Savoir si une marque est légitime pour innover dans une direction particulière. Connaître les représentations des individus (donc le degré d’acceptabilité d’un projet). Avoir un impact mesuré sur leurs opinions (en fournissant les connaissances nécessaires)… En “pré-racontant, pré-jouant, déjouant et rejouant” un futur présent, le design fiction souffle un vent d’air frais sur les processus d’innovation marketing.

[1] Fondateur de What if, designer spécialiste du design fiction et design spéculatif / critique / participatif
[2] Séance de débat participatif, propulsée par un scénario critique et prospectif : Design Fiction
[3] Un biais cognitif selon lequel les moins qualifiés dans un domaine surestiment leurs compétences. Avoir des certitudes vis-à-vis de son opinion, avec très peu de connaissances. Le phénomène du “savoir à portée de clic” renforce ce biais cognitif. Lorsqu’une personne a 1% de connaissance en plus que les autres sur un sujet, il sera perçu par ces derniers comme un “expert” (sans en être un).

EN SAVOIR +

Contact chez Enov Research

Virginie Gautereau

Responsable Pôle Quali Retail & Transports