Comment les marques utilisent les influenceurs ?
Sur Youtube, Facebook, Twitter, Instagram, ils placent des noms de marque, font la promotion d’un salon ou d’un lieu, encouragent la participation à un événement. Mais les “influenceurs” sont-ils des professionnels comme les autres ? Comment les marques utilisent les influenceurs ? Quand les annonceurs et les commerçants y ont-ils recours ? Comment évaluer leur performance et leur impact ? Ce sont les questions qui ont été discutées lors de la première session du Cycle “Tous influenceurs” du Social Media Club Lyon, dont Martial Rousset, Responsable Digital chez Enov faisait partie.
Tous influenceurs ?
La première difficulté tient à la définition même de l’influenceur. Entre ambassadeur, blogueur amateur et influenceur professionnel, leur fonction et leur rapport aux professionnels du marketing varie d’un secteur et d’une cible à l’autre. Et induit forcément un rapport au sourcing variable. « Lorsque j’organise le Sirha par exemple, de nombreux blogueurs s’invitent d’eux-mêmes. Mais c’est un salon professionnel, alors même si ça fait de la visibilité, leur public ne nous intéressera pas forcément », entame Alice Blondel, de GL Events. « Les marques utilisent les influenceurs comme des médias au départ. On va regarder la qualité du traitement, et puis leur audience. Typiquement, un blog comme Graines de Papilles fait peu d’audience, mais son niveau de précision sur comment cuisiner vegan intéresse non seulement les consommateurs mais aussi les restaurateurs. »
Si les marques utilisent les influenceurs régulièrement dans tous les domaines de BtoB et de BtoC, ceux-ci ne sont pas toujours considérés comme de véritables professionnels de la communication et du marketing. « On ne se rend pas compte que faire des tweets, c’est créer du contenu, c’est un travail et ça prend du temps », insiste Fabienne Billat, influenceuse.
« On est en train de créer de nouvelles activités, de la valeur, des métiers. C’est un vrai marché ! » Fabienne Billat, Institut Sapiens
Fabienne Billat a ainsi participé au salon Vivatech en tant qu’ambassadrice. Pas de contrat, pas de salaire, mais tous les frais de logements et de déplacements payés. « En fait, la communication digitale repose sur une fabuleuse chaîne de bénévolat », indique-t-elle en riant.
Selon la cible visée – professionnels d’un secteur en particulier comme la restauration ou l’industrie, citoyens, décideurs politiques, recruteurs…, différents contrats liant l’influenceur sont envisagés. L’exemple de l’armée de Terre est particulièrement intéressant. « Pour recruter 15.000 jeunes par an en tant que soldats et sous-officiers, nous avons besoin d’en attirer 200.000 ; l’agence a donc fait le choix de signer deux partenariats avec des youtubeurs très suivis, en ciblant sur la préparation aux épreuves physiques », explique Nathalie Garel, d’Insign. C’est ainsi qu’ils ont « embauché » les influenceurs Tibo Inshape et ses plus de 5.5 millions d’abonnés Youtube, et Juju fitcat, son pendant féminin. « Ensemble, on a fixé un engagement à hauteur d’un certain nombre de vues, un seuil minimum avec un budget à la clé. L’objectif, dans ces vidéos, était de transmettre le message que les épreuves physiques de recrutement de l’armée sont accessibles à toutes et tous. »
Parfois, les acteurs deviennent eux-mêmes des influenceurs. C’est le cas du site LyonResto, ou encore d’Okeenea, « la société qui fait traverser les personnes aveugles en France », comme aime à la définir Christine Pestel, sa responsable communication. « Nous sommes en pleine quête de sourcing, car notre projet évolue et vient s’inscrire dans la thématique “smart city”, nous souhaitons, à travers ces influenceurs, faire de l’inclusion un vrai sujet. »
Lorsque les marques utilisent les influenceurs, cela permet donc de cibler précisément des profils et d’orienter le message à faire passer.
Micro-influence et risque du bad-buzz
« C’est ce qu’on appelle la micro-influence », intervient Cécile Ouzet, social media manager à OnlySo. « Sur Instagram, on préfère opter pour des influenceurs peu connus mais qui font du qualitatif. » Ainsi, certains vont préférer faire le choix de la qualité et de l’engagement, plutôt que celui du volume et du nombre de vues. Façon aussi d’opter pour des profils plus fiables, moins volatiles, moins à même de créer du « bad buz ».
En effet, le problème des youtubeurs qui ont des millions de followers, c’est qu’on ne sait pas tellement de quoi est constituée toute leur communauté. « Et clairement, aujourd’hui, certains s’assoient sur l’éthique », regrette Clarisse Gratecap. « J’ai souvenir de cette influenceuse qui avait déclaré dans une vidéo qu’elle plaçait des montres de telle marque juste pour bénéficier d’une croisière dans les îles grecques, alors qu’au fond, elle n’aimait pas cette marque. »
Dans ce cas précis, la marque avait maintenu la campagne, préférant un badbuzz à une absence d’exposition. Une chose est sûre, les influenceurs ont bien compris la puissance de leur présence en ligne et la nouvelle ressource, parfois moins coûteuse qu’un plan de marketing classique ou télévisé, qu’ils représentent. « Pour une de nos marques de friandise, on est allé chercher un jeune influenceur de 16 ans, avec déjà 300 000 abonnés sur youtube. On avait un bon scénario pour lequel il correspondait parfaitement, mais à l’époque, on ne savait pas trop évaluer le montant. Au bout de quelques jours, il est revenu avec un agent et a proposé un tarif de 300 000 euros pour 30 vidéos ! Heureusement, on est redescendu à notre tarif initial », raconte Olivier Robert, fondateur de Big Success.
Une mesure de l’impact plus difficile
Un ROI incontrôlable
Mais si les influenceurs ne manquent pas et peuvent se trouver à moindre coût, mesurer leur impact s’avère plus compliqué. « Il y a vingt ans, on contrôlait l’influence avec la télé, la radio ; et puis Google est arrivé, et tous ceux qui ont su se débrouiller pouvaient être bien référencés », enchaîne Stephane Koschall, de LyonResto, guide des restaurants lyonnais en ligne.
« Au sein des réseaux sociaux, il y a une telle circulation de flux que l’information est dure à analyser. Il faut miser sur de l’opportunité contrôlable », Stephane Koschall.
À ses yeux, le plus difficile tient dans cette incertitude, dans le fait de ne rien pouvoir promettre aux restaurateurs, comme plus généralement aux clients ou sponsors. Le ROI – retour sur investissement – est trop incertain. Un jour, un post sur les réseaux sociaux fera le buzz ; le lendemain, rien. Et l’analyse est plutôt partagée par tous, même si cela n’est pas fondamentalement différent de la publicité : « Ce sont toujours des promesses ! », rappelle Fabienne Billat.
Maîtriser la data
« Mais la grande différence avec la télévision, c’est qu’on ne cherche pas un ROI mais de la visibilité. L’objectif avec la télé sera de toucher plusieurs fois une même cible, pas de faire de la data. Le recours aux influenceurs est donc complémentaire », estime à son tour Olivier Robert, de Big Success. Aujourd’hui, il est possible d’observer le nombre de vues, de calculer des retombées presse classiques, de chiffrer le nombre de followers, ou même d’obtenir un feedback des annonceurs. Pour autant, la question de la rentabilité et des retombées économiques des nouveaux influenceurs reste floue.
« Le recours aux outils du digital n’est en effet pas magique. Pour arrêter de travailler à l’aveugle, il faut passer de la data à une information qualifiée, ajouter de la compétence et de l’analyse à l’outil »
Martial Rousset, Responsable Digital chez Enov
Sur un événement sportif au rayonnement mondial, il a été nécessaire de monter une équipe de sept personnes mobilisées 7 jours sur 7 pendant un mois, pour mesurer l’impact des marques et des partenariats montés. Les dispositifs existent, mais ils ont un coût en temps homme, que tous les annonceurs ne sont pas prêts à débourser.
Stratégie différente selon le type d’événement et les objectifs
Selon le type d’événement organisé et son ampleur, quantifier précisément l’influence n’est pas toujours la priorité « Avoir un outil d’analyse d’influence à plusieurs milliers d’euros n’est pas pertinent pour nous. Quand on organise la Fête des Lumières, c’est intéressant d’obtenir de la data pure, mais nous connaissons déjà via nos médias sociaux ou par d’autres point d’entrées les grands sujets d’intérêt ou d’interrogation des visiteurs (horaires de la Fête, périmètre…). Les statistiques et mentions natives de nos outils nous suffisent pour tirer des conclusions réalistes, utiles et directement exploitable », explique Marie-Catherine Olive.
Même constat du côté d’OnlyLyon, avec Camille Lenoble : « Nous avons de la chance car beaucoup de gens postent naturellement sur les réseaux sociaux des photos avec le hashtag #OnlyLyon, dont ils se sont emparés. On fait donc principalement de la curation de contenu avec les influenceurs locaux. » Là aussi, il s’agit d’utiliser le temps des community manager pour aller repérer les plus belles photos.
« On n’essaie même pas d’avoir la plus partagée, mais on cherche la pépite, celle qu’on va repartager et qui du coup valorisera à son tour la personne qui l’a prise», Camille Lenoble, OnlyLyon.
Ensuite, pour remercier ces contributeurs bénévoles, ils pourront être invités à des soirées ou des dîners et ainsi avoir envie de continuer à chercher “la pépite”. C’est, en somme, un cercle vertueux. D’autant qu’à côté de ce fonctionnement, se trouve aussi le réseau de 30 000 ambassadeurs partout dans le monde, qui font à leur manière la promotion de la Métropole de Lyon sur les réseaux sociaux.
Qualité VS quantité : privilégier le contenu
Pour Yannick Soquet, de Brioude Internet, l’influence ne doit pas se travailler indépendamment du référencement. Il explique qu’aujourd’hui, il va surtout chercher à avoir des contacts avec la presse spécialisée, des sites dans l’automobile ou le commerce qui ont adapté leur stratégie commerciale. « On a par exemple accompagné le leader de la carte grise en ligne, mais notre client était toujours en deuxième position avec le site du gouvernement. Donc on est allé chercher des sites automobiles, des blogueurs nichés avec un gros historique web comme le site lyonnais presse-citron et on a écrit plusieurs papiers qu’ils ont pu récupérer. Ça nous a permis d’obtenir des liens naturels, qui ont été validés par Google ».
L’idée, confirme Alice Bertran, est de créer du contenu solide et fiable, qui n’apporte pas seulement beaucoup de visibilité d’un coup – comme une story – mais qui dure. Et pour Okeenea, ces influenceurs ne sont pas n’importe qui : « Notre stratégie a effectivement été de créer un média. Aujourd’hui il est arrivé que la délégation ministérielle à l’accessibilité reprenne notre contenu. »
« Sur Twitter, nous sommes suivis et relayés par le chargé de mission auprès de la déléguée interministérielle, cela nous permet d’asseoir (encore un peu plus) notre légitimité – c’est en cela que nous le considérons comme influenceur ! Concernant l’entretien de notre relation, nous nous faisons forts de relayer les contenus produits de leur côté et ne manquons pas une occasion de les remercier », Christine Pestel, Okeenea.
Une autre solution, consiste à miser sur la co-création avec les influenceurs et plus largement les utilisateurs. « Nous avons monté une plateforme qui ressemble à un Facebook privé, pour tester des produits et leur viabilité avec les utilisateurs. C’est une promesse de qualité. En contrepartie, ils peuvent tester les produits en avant-première. »
Lorsque les marques utilisent les influenceurs, cela permet désormais d’adresser à la fois le client, consommateur, et le professionnel
« On se rend compte que le plombier ne quitte pas sa casquette de plombier quand il est sur Facebook sur son compte personnel. Donc on s’adresse aux individus et aux particuliers et aux professionnels de la même manière, ce qui n’était pas possible il y a encore cinq ans », conclut Olivier Robert, de Big Success.
Par Margot Hemmerich, journaliste