Brand Tracking : apporter du fuel à la décision stratégique
Pour notre experte Emmanuelle Exilie, la frustration que peut susciter le brand tracking dans les entreprises n’est pas un sujet tabou. Ce sentiment provient le plus souvent d’un malentendu sur la vocation de cet outil, quand les attentes penchent vers l’opérationnalité alors que la priorité devrait être de nourrir la décision stratégique, dans un contexte où tout pousse les marques à réagir vite plutôt qu’à entreprendre des actions de fond. Elle livre à MR News ses convictions sur les facteurs clés de succès à mettre en œuvre sur ces dispositifs.
Le brand tracking au service de la performance de marque
Il y a une forte attente d’opérationnalité, de plan d’action précis, alors que le brand tracking a plutôt vocation à donner des orientations et cerner les leviers à activer pour améliorer la performance de la marque.
MRNews : Quelle place occupent les brand tracking dans l’activité d’Enov ?
Emmanuelle Exilie : Nous intervenons au global sur une bonne dizaine de tracking. Une majorité d’entre eux concerne l’univers du Retail. Leur dimensionnement est assez variable, le dispositif le plus conséquent étant mené pour une enseigne de produits cosmétiques, avec plus de 15 000 interviews par vague réparties dans 15 pays.
Les brand tracking ont la réputation de susciter pas mal de frustration côté annonceurs. Pourquoi ?
Cela n’a rien de systématique, mais il nous arrive en effet d’être sur le fil du rasoir avec ce type d’outil, selon la façon dont nos interlocuteurs se l’approprient. Ce terme de frustration me parait juste. Ce sentiment me semble principalement lié à une question d’objectifs.
Il y a souvent une forte attente d’opérationnalité des éclairages, de plan d’action précis, qu’il est difficile de satisfaire du fait de la nature même de ce dispositif. Le Brand Tracking a plutôt vocation à garantir une vérité durable sur les forces et faiblesses de la marque, à effectuer une photographie solide dans un contexte où tout pousse à réagir plus qu’à agir. Il est là pour donner des orientations (sur QUOI agir plutôt que COMMENT agir), et cerner quels leviers doivent être actionnés pour améliorer la performance de la marque. Faut-il impérativement booster la notoriété de celle-ci ? Sa présence à l’esprit ? Ou bien l’enjeu majeur est-il plus en aval du funnel marketing ? Dans le cas d’une enseigne en particulier, est-ce qu’il n’y a pas lieu de focaliser l’effort sur la transformation de la notoriété en visite, ou de la visite en achat ? Et sur quelles composantes d’image travailler en priorité ?
Le tracking doit aussi permettre d’aligner les équipes et les aider à se resynchroniser, en apportant des réponses claires à des questions clés. Quelle est la perception des consommateurs et des différentes cibles stratégiques ? Est-ce cohérent avec les objectifs ? Et les évolutions vont-elles bien dans le sens souhaité ?
C’est un outil « stratégique » avant tout, et non un outil opérationnel…
Oui, tout à fait. Il est là pour apporter le fuel nécessaire à la prise de décisions stratégiques, en délivrant une vision objective et partagée entre les différentes entités concernées. Mais il doit aussi permettre de valider que ces décisions et les plans d’action associés ont bien eu l’impact escompté sur les KPI. Il est ainsi à la fois le fuel et le tableau de bord.
Un diagnostic à spectre large
Notre parti-pris est de mixer des dimensions relativement « universelles » avec des indicateurs ad’hoc, plus spécifiques à la catégorie ou à la marque elle-même.
Quel prisme de diagnostic et donc quels KPI doit-on privilégier dans le cadre d’un brand tracking ?
Deux éclairages complémentaires nous semblent intéressants à délivrer. Le premier consiste à monitorer le funnel marketing, très attendu car il est fortement orienté business. Il permet d’établir un diagnostic de la performance de la marque sur les différents leviers de conversion, avec un benchmark, et d’identifier là où elle doit être optimisée. Le deuxième consiste à monitorer les composantes d’image, pour comprendre en quoi la marque est désirable ou au contraire pourquoi elle ne l’est pas assez. Notre parti-pris est de mixer des dimensions relativement « universelles », notamment autour des notions de qualité-prix, d’innovation, d’attachement à la marque… sur lesquelles nous disposons de benchmark, avec des indicateurs ad’hoc, plus spécifiques à la catégorie ou à la marque elle-même. Il s’agit ici d’intégrer les attributs clés de l’identité en d’autres termes issus de la plateforme de marque ; mais également ceux qui permettent de comprendre ce qui se passe sur le marché.
Au final, la marque doit être abordée sous toutes ses facettes, avec des éléments comportementaux et attitudinaux, des aspects rationnels et d’autres plus émotionnels ayant plus trait à sa personnalité. C’est la condition à respecter pour pouvoir piloter finement ce capital marque. Par ailleurs, même s’il s’agit d’un baromètre (qui induit un besoin de stabilité du dispositif dans le temps), il est nécessaire d’être souple, de pouvoir intégrer de nouvelles dimensions pertinentes en fonction du contexte, qu’il soit spécifique à la marque ou à son marché. Pour coller au mieux aux enjeux du moment. Avec la crise sanitaire, nous avons par exemple renforcer les modules sur les performances digitales ou encore intégrer davantage de dimensions RSE…
Jusqu’où doit-on aller dans l’appréhension des concurrents ?
Le tracking est par nature un des outils d’étude les plus hétérocentriques, en comparaison notamment avec les investigations portant sur l’expérience client, plus monocentrées. Il faut donc suivre les acteurs avec lesquels la concurrence est la plus vive et frontale, en tout cas sur les principaux indicateurs. Mais aussi la concurrence indirecte, et en particulier les pure players. Ce serait en particulier une erreur de ne pas être attentif aux performances d’Amazon dont le niveau d’emprise est croissant sur bon nombre de marchés …
Quelle fréquence de mesure recommandez-vous ?
Celle-ci doit bien sûr être définie en fonction de la dynamique de la marque et du marché sur laquelle elle opère. Mais une vague tous les ans ou tous les deux ans me parait en moyenne être une bonne option. Compte tenu de l’inertie des perceptions du côté des consommateurs, et aussi de la capacité des entreprises à agir. Ces mesures doivent de préférence être réalisées en dehors de temps forts en termes de communication, pour mieux appréhender les phénomènes de fond. Sur des marchés très concurrentiels et évolutifs, on peut envisager des dispositifs à géométrie variable, avec une fréquence de mesure plus resserrée notamment pour les indicateurs clés du funnel.
J’ajouterais cependant que le tracking est d’autant plus puissant qu’il ne vit pas seul. Il y a un vrai intérêt à l’interfacer avec les tests publicitaires, ainsi qu’avec les outils de social listening. Cela permet de surveiller en particulier la visibilité de la marque, ou encore sa e-reputation . Et d’alerter les équipes sur des phénomènes émergents entre deux vagues du tracking.
Un outil stratégique, à bien combiner avec les autres dispositifs en place
Sur ce type de dispositif, nous devons collaborer main dans la main avec nos clients, pour faire en sorte que les temps forts de la marque puissent nourrir le plus pleinement possible l’analyse du brand tracking.
Voyez-vous d’autres facteurs clés de succès essentiels dans la mise en œuvre de tracking ?
Dans le même principe consistant à interfacer cet outil avec d’autres dispositifs, il y souvent un fort intérêt à suivre la perception des clients de la marque. Idéalement en intégrant les différents segments du CRM. Cela permet notamment d’identifier le gap entre la promesse de la marque (ce que les non clients perçoivent ou imaginent de la marque), et l’expérience client qu’elle procure (ce que les clients disent de la marque au travers de l’expérience qu’ils en ont).
Par ailleurs, le sujet des livrables me semble également très sensible. Les enseignements de cet outil concernent plusieurs publics dans l’entreprise. Il faut donc répondre à des besoins distincts, et pouvoir proposer des enseignements à la fois très synthétiques et visuels. Rendre digeste et intelligible un outil riche en informations.
Une dernière question enfin. Dans la bonne exploitation d’un tracking, est-ce qu’il n’y a pas un enjeu spécifique quant à la collaboration entre la marque et l’institut ?
Absolument. Les tracking peuvent générer de la frustration chez nos interlocuteurs, nous l’avons évoqué en préambule. Mais, ce sentiment peut être aussi présent de notre côté. Le plus souvent du fait d’une relative opacité de l’entreprise sur des données clés. En théorie, le tracking devrait s’attacher à monitorer l’image de la marque sur les attributs définis comme essentiels dans sa plateforme ; sauf que celle-ci n’est pas toujours partagée et accessible… Il est également difficile d’avoir une vision claire et hiérarchisée des actions mises en œuvre par la marque, y compris pour nos interlocuteurs. C’est parfois au moment des présentations que nous découvrons ces actions. La conséquence est que nos analyses se font un peu « à l’aveugle ». Celles-ci auraient plus de valeur et de poids si nous pouvions intégrer des hypothèses. Si nous pouvions travailler plus en transparence, en mode plus concerté, cela pourrait en effet permettre d’optimiser l’exploitation de cet outil. Les résultats sont souvent très attendus par les équipes dans les entreprises, y compris par les directions générales. Il faut donc que nous collaborions main dans la main avec nos interlocuteurs, pour faire en sorte que ces temps forts puissent nourrir le plus pleinement possible les décisions stratégiques.
Interview publiée avec l’autorisation de Market Research News. Retrouvez le dossier complet.
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